La pathologie du trouble bipolaire
Par le Dr Sébastien Gard, psychiatre, mis à jour le 06 mai 2020.
Il est utile de faire un point sur une pathologie qui est aussi largement évoquée dans les médias qu’elle est concrètement méconnue, ce qui donne lieu à de multiples préjugés.
Maladie du « thermostat de l’humeur », le trouble bipolaire se caractérise par la récurrence d’épisodes de crises pouvant se montrer très différents les uns des autres, qu’ils soient hypomaniaques, maniaques, ou dépressifs.
Lorsque les épisodes aigus sont mis sous silence, la période intercritique peut toutefois poser problème, car non indemne de symptômes résiduels. La présence de troubles comorbides, psychiatriques ou somatiques, rajoute à la souffrance des patients et contribue à l’altération de leur fonctionnement.
A ce titre, le trouble bipolaire occupe la sixième position dans le classement des maladies générant un handicap, selon l’Organisation Mondiale de la Santé.
Ainsi, face à une pathologie aussi invalidante, il est essentiel de disposer d’un système de soins de recours permettant aux patients de bénéficier d’une évaluation diagnostique complète et rigoureuse, afin de guider les stratégies thérapeutiques, tout en développant les soins innovants.
Quels problèmes ?
Comme évoqué en préambule, le trouble bipolaire est une pathologie encore trop méconnue, y compris des professionnels de santé, puisque le retard diagnostique est encore important, autour de 7 ans. La prévalence vie entière de cette pathologie est légèrement au-dessus de 2% (1) ce qui en fait une pathologie chronique relativement fréquente dans la population.
Le diagnostic du trouble bipolaire est rendu complexe de par la difficulté pour le patient à percevoir les épisodes critiques, marqués par une élévation de l’humeur. Les hypomanies sont particulièrement ardues à identifier a posteriori. Il s’agit en effet d’épisodes de crise dont l’impact est modéré. Les symptômes sont souvent assez clairs : modification du comportement habituel, caractérisée par une élévation de l’estime de soi, du niveau d’énergie, avec un sommeil réduit sans fatigue, une accélération psychomotrice et un contenu émotionnel dominé par l’exaltation. Mais l’absence d’impact majeur de ces symptômes, ainsi que le vécu agréable peuvent altérer le repérage.
Il n’en est pas de même des états maniaques, les mêmes symptômes étant ici tellement violents que l’impact sur le fonctionnement du patient est majeur, nécessitant parfois une hospitalisation.
Les épisodes dépressifs viennent alterner avec ces épisodes « up », pour générer une oscillation de l’humeur caractérisant le trouble bipolaire.
Le retard diagnostique « habituel » de cette pathologie (2) en complique la prise en charge, retardant la mise en œuvre de stratégies thérapeutiques appropriées. Le temps de maladie non traité favorise ainsi les fluctuations de l’humeur, l’aggravation globale du trouble et l’installation de pathologies comorbides.
Ces pathologies associées peuvent être de nature psychiatriques (troubles anxieux, addictions…) ou même somatiques.
Nous sommes ainsi particulièrement vigilants quant à l’installation d’un syndrome métabolique et de pathologies cardiovasculaires. Une étude basée sur l’exploitation de la base de données des Centres Experts Bipolaires confirme ces craintes (3). Nous devons être d’autant plus vigilants que la surmortalité des patients souffrant de troubles bipolaires est bien connue et pas seulement en lien avec le suicide, l’impact des maladies somatiques étant prouvé.
Quelles solutions ?
Ainsi, les patients peuvent présenter une demande de soins complexe, à corréler à la multiplicité des dimensions cliniques atteintes et à la complexité du déterminisme de la souffrance.
Il n’est pas toujours aisé de répondre à cette demande dans le cadre de la consultation en cabinet de ville. L’exploration exhaustive des domaines impactés par le trouble bipolaire ou les troubles comorbides peut s’avérer très chronophage en pratique et la mise en place d’une évaluation multidisciplinaire n’est pas évidente dans l’exercice de la psychiatrie au quotidien.
Aujourd’hui, les centres experts de la fondation FondaMental représentent un recours pertinent pour les praticiens ayant à prendre en charge des patients souffrant de troubles bipolaires. Ils hébergent des équipes multidisciplinaires, impliquant psychiatres, psychologues cliniciennes, neuropsychologues et infirmières. Cette multidisciplinarité garantit la qualité des bilans cliniques. Réalisés sur quatre demi-journées, ils permettent de guider les choix thérapeutiques ultérieurs, médicamenteuses et psychothérapeutiques, dans le respect des recommandations internationales.
Quelles voies de recherche ? La piste immuno-inflammatoire au centre des espoirs
Aujourd’hui, le déterminisme du trouble bipolaire reste encore très mal connu, tout comme le mode d’action de certains de ses traitements, à commencer par les sels de lithium.
Les équipes de la Fondation FondaMental ont déjà produit, ces dernières années, de multiples publications dans des revues scientifiques reconnues. Il reste beaucoup à écrire concernant la physiopathologie de cette maladie, notamment pour ce qui est de l’influence de la génétique ou de la réaction inflammatoire. L’exploitation des données de l’étude PsyCoh BP, cohorte française multicentrique de patients souffrant de troubles bipolaires, devrait permettre de lever en partie le voile sur ces questions, en identifiant notamment des biomarqueurs. La piste immuno-inflammatoire est très prometteuse, car susceptible tout d’abord d’expliquer certaines associations (notamment avec le syndrome métabolique) et de générer à l’avenir des approches immuno-thérapeutiques, qui seraient tout à fait innovantes en psychiatrie.
La pair-aidance, un tournant décisif !
Au-delà des avancées scientifiques, l’émergence de la pair-aidance est un changement majeur de paradigme venant modifier en profondeur notre pratique. Dans le sillage de la loi Kouchner de 2002, instaurant la démocratie sanitaire, de nombreux usagers se sont saisis de l’opportunité de s’entraider. Dans le domaine du trouble bipolaire, cette dynamique est particulièrement saillante, avec la création d’association de patients, organisant diverses rencontres et activités dont l’aspect thérapeutique est évident. Dans la marche vers le rétablissement, leur rôle s’avérera demain essentiel.
Il est du devoir des médecins de les aider à retrouver leur place dans la société. L’édition 2020 de la JMTB, placée sous la thématique « Trouble Bipolaire et Droits de l’Homme », est ainsi l’occasion d’affirmer notre rôle d’accompagnant des patients, y compris dans leurs initiatives collectives visant à s’entraider, se tendre la main l’un à l’autre.
1- Merikangas KR, Jin R, He J-P, et al. Arch Gen Psychiatry. 2011;68:241‐51.
2 Gonzalez-Pinto A, Gutierrez M, Mosquera F, et al. J Affect Disord. 1998;50:41‐4.
3- Godin O, Etain B, Henry C et al, J Clin Psychiatry. 2014 Oct;75(10):1078-85
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